Redevenus sédentaires, après une vie itinérante en roulotte, « les Montreurs d’ombres » sont avant tout une troupe familiale. Rencontre avec une famille qui joue au spectacle.
Itinéraire d'une famille orchestre
Dans la famille Rossi, je voudrais Marc le père, Sophie la mère, Pierre le fils, Paul le deuxième fils, Marie, la fille, Martin et Adèle les jumeaux… Lorsque Marc et Sophie se sont rencontrés il y a plus de quinze ans, ils étaient loin de se douter qu'ils auraient cinq enfants, qu'ils créeraient leur propre troupe de théâtre d'ombres et qu'ils partiraient sur les routes de France, à bord d'une roulotte, pour présenter leurs spectacles, abandonnant leur petite vie confortable et standard d'ingénieurs dans le spatial à Toulouse.
“ On s'est dit qu'on allait jouer à être des gens de spectacle. ”
« Rien n'était planifié à l'avance », explique Marc Rossi. Mais l'histoire commence en 2003, lorsque leur premier enfant, Paul, pointe le bout de son nez. « Le jour où on est parti à la clinique, raconte-t-il, on ne savait pas ce qui allait se passer ». Puis d'un congé maternité à un congé parental, d'un week-end à de plus longues vacances, d'une RTT à des absences prolongées, les ingénieurs décident finalement « de poser le stylo, d'éteindre l'ordinateur, de prendre leur enfant sous le bras », et de partir.
Où ? Pour quoi faire ? En vivant de quoi ? Ils n'avaient pas les réponses. Mais ils n'étaient pas inquiets. Le destin, les rencontres, les envies et leur enthousiasme pour le théâtre d'ombres qu'ils pratiquaient régulièrement à Toulouse, allaient décider pour eux. Et c'est ainsi que Marc et Sophie se retrouvent dans les Pyrénées, dans une maison qu'ils ne finiront jamais de restaurer et qu'ils vendront, puis dans un gîte pour attendre la naissance de leur deuxième enfant, apprenant alors à « vivre avec pas grand-chose, avec l'aide de la CAF et nos économies. On a commencé à vivre avec des gens qui avaient peu de moyens et ça a été très riche », se souvient Marc.
Partager un truc en famille
Voulant être toujours plus indépendants, toujours plus autonomes, toujours plus libres, ils créent leur premier spectacle, Les trois petits cochons courent toujours, qui face à l'accueil enthousiaste du public les encourage à continuer et à se structurer. Le couple crée alors sa propre compagnie de théâtre d'ombres en 2005, sous le nom évocateur de « Montreurs d'ombres ».
Plus qu'une troupe de théâtre, c'est un projet familial que lancent-là Marc et Sophie, qui adaptent leurs créations et leurs représentations au rythme des enfants, « car l'idée, explique Marc, c'était de partager un truc en famille ». Ainsi, Pierre, Paul, Marie, puis Martin et Adèle apprennent dès leur plus jeune âge à manipuler les marionnettes, aider au montage du castelet et à jouer. En 2016, ils montent sur scène tous les 7 à la fois, pour la première fois, dans « un rôle à la mesure de chacun ».
Marc et Sophie ont toujours associé et impliqué leurs enfants, dès leur plus jeune âge, dans leurs spectacles, avec des rôles à leur mesure. Les plus grands apportent aujourd’hui leur contribution en musique, les jumeaux font tomber la neige du ciel.
L'arrivée de leur troisième enfant en 2007 marque un nouveau virage. « On s'est dit qu'on allait jouer à être des gens de spectacle », déclare Marc qui crée alors un site internet pour avoir plus de visibilité et programmer de nouvelles dates de représentations. « Et là, on s'est sentis appelés, interpellés à être itinérants. On avait la bougeotte mais la vie de nomade, c'est pas dans notre culture ».
Qu'à cela ne tienne ! Marc et Sophie écoutent leur cœur et embarquent à bord d'une roulotte toute la petite famille, sur les routes du grand sud, dans laquelle ils vivent et montrent leurs ombres. Sans pression, sans contrainte, sans obligation, juste avec l'envie de passer du temps ensemble, en famille, et de découvrir des paysages, de rencontrer des gens et de s'arrêter lorsqu'ils ont des représentations prévues. « Pendant trois ans, on a fait des rencontres extraordinaires, avoue Marc, on a appris le métier en expérimentant sur le tas, avec différents publics, dans différents lieux ».
Puis lorsqu'ils décident de professionnaliser la troupe en 2011 et d'échanger leur « Zoé », la roulotte devenue trop petite pour accueillir à la fois toute la tribu et les spectateurs, contre un bus, le quatrième enfant s'annonce. « L'idée c'était d'acheter un deuxième bus, un pour le logement et l'autre pour les spectacles », avec Marc au volant de l'un et Sophie au volant de l'autre. Une situation qui s'est avérée particulièrement difficile, voire impossible, avec l'arrivée de jumeaux.
De l'itinérance à la sédentarité
La naissance de Martin et Adèle marque donc la fin de cette vie ambulante. La famille loue un appartement dans le Tarn. « On a finalement renoncé à l'aspect nomade mais on a gardé l'activité spectacle et on a acheté un camping-car pour tracter la roulotte de spectacle et pouvoir partir en tournée ». Mais au fil de leurs haltes de plus en plus régulières dans le Cantal, en visite chez des amis, Marc et Sophie décident de s'y installer définitivement. D'abord à Rézentières, puis depuis quelques semaines à peine à Saint-Flour, adaptant même leur répertoire pour que Marc puisse le jouer seul.
Aujourd'hui, après une telle aventure, si la troupe s'est sédentarisée, elle n'a rien perdu de son imaginaire ni de sa poésie. « On n'est pas malheureux d'avoir quitté tout ça », avoue Marc. Mais « Les montreurs d'ombres » restent toujours aussi curieux, avides de création et de partage en famille, passionnés de théâtre, et prêts à faire de belles rencontres. Et jamais, « plus jamais que jamais, on n'a regretté une seule fois, ni Sophie ni moi, notre vie d'avant ».
Article d'Isabelle Barnéria publié le 26 mai 2017 dans le journal La Montagne, photos David Allignon